L’archivage d’une vie !

Dominique Bozo a eu la lourde tâche de sélectionner, inventorier et classer ce qui allait devenir la collection du musée Picasso, avec l’aide de Roland Penrose, Pierre Daix, Maurice Besset et Jean Leymarie, entre autres. Picasso peignait, dessinait, sculptait, écrivait. Il était indispensable l’on retrouve cette entité dans la dation, puis dans le musée. Le travail de l’artiste est un tout, que l’on ne peut apprécier dans sa globalité si l’on associe les éléments qui le composent. Bozo a ainsi mis à jour tout ce que l’artiste avait gardé précieusement auprès de lui, permettant une plus juste compréhension de son travail et de sa démarche. Les archives intimes de l’artiste sont riches d’œuvres emblématiques de l’histoire de l’art du xxe siècle. Picasso gardait tout, les variations successives d’une œuvre ayant valeur d’œuvre. La collection témoigne ainsi de sa façon de travailler, lui qui aimait recourir à toutes les techniques.

Picasso gardait également les petites choses de la vie quotidienne et les traces de ses relations aux autres : factures, lettres, mots, enveloppes, billets de spectacles ou menus de mariage, cartes de vacances, listes d’amis, invitations ou programmes d’opéras… Beaucoup sont annotés, gribouillés, redessinés, détournés. Cette masse forme un fonds d’archives exceptionnel et encore aujourd’hui peu exploité. Cet ensemble hétéroclite, austère et secret captive le chercheur en quête de confidences, comme l’écrivait Arlette Farge : « L’archive force la lecture […] produit sur le lecteur la sensation d’enfin appréhender le réel. Et non plus de l’examiner à travers le récit sur, le discours de. Ainsi naît le sentiment naïf, mais profond, de déchirer un voile, de traverser l’opacité du savoir et d’accéder, comme après un long voyage incertain, à l’essentiel des êtres et des choses. […] Il n’y a pas de doute, la découverte de l’archive est une manne offerte justifiant pleinement son nom : source. » (Arlette Farge, Le Goût de l’archive, Éditions du Seuil, 1989). Rassembler en un même lieu minuscules traces et travaux de l’artiste, ses chuchotements créatifs comme ses références ou ses choix permet d’en avoir une vision évidemment différente.

Dominique Bozo a eu donc la délicate responsabilité de mettre à jour les fonds d’atelier. L'historien, quelquefois controversé, a changé le paysage de l'art moderne et contemporain en France. C'est à ses efforts que l'on doit la transformation d'un Musée national d'Art moderne en l'un des centres les plus importants du monde pour qui veut comprendre l'art du xxe siècle. Il aimait l’art, le promouvoir, l’enseigner, le diffuser ; il avait un sens inné du service public. Beaucoup lui ont reproché ses démissions fracassantes, son caractère secret. Il savait fort bien que personne, dans le monde des musées français, n'avait une vision aussi claire que la sienne sur l'art de la première moitié du xxe siècle, ni sa clairvoyance. La réussite du musée Picasso lui doit beaucoup. Dominique Bozo a employé tout son génie dans la mise en lumière du travail et de la vie de l’artiste.

Musée Picasso Paris, une enfilade de pièces blanches et lumineuses
Pablo Picasso, Nature morte à la chaise cannée, 1912.