Des débuts littéraires ?

C'est dans une époque d'une grande richesse littéraire que Pablo Picasso débute sa carrière. Revues, poésie, romans, la production des premières années du XXe siècle est particulièrement active.


Picasso trouve à Barcelone le bouillon de culture propice aux premiers pas d'une prometteuse trajectoire, eu égard au désir de modernité et de renouveau qui se faisait sentir alors dans la capitale catalane. Ce n'est qu'en 1899 que Picasso prendra une part active aux activités du cabaret mythique Els Quatre Gats, ouvert en 1897, faisant partie de ceux en recherche de nouvelles références, aspirant à créer un art nouveau, les yeux fixés sur les artistes, critiques et écrivains Ramon Casas (1866-1932), Santiago Rusiñol (1861-1931) et Miquel Utrillo (1862-1934), qui dirigent les activités et donnent le ton à l'établissement. C'est au Quatre Gats que se tient sa première exposition individuelle, série de dessins, galerie de portraits de ses amis. Cette brève expérience donne à Picasso l'envie et l'énergie de découvrir de nouveaux horizons, ce qui aura pour résultat son départ pour Paris. (Maria Teresa Ocana, Paris Barcelone, 2001, p. 219)

Les jeunes modernistes catalans se sont en effet tournés vers le Nord, certains que c'est à Paris «que les choses se passent». Barcelone est, à leurs yeux, malgré l'effervescence qui l'habite, provinciale. Paris est synonyme de culture, de raffinement, de civilisation, de force, de modernité. Par ailleurs, il existe un véritable pont intellectuel entre les deux capitales. Pas moins d'une douzaine de revues catalanes ou franco-catalanes ont en effet vu le jour à Paris entre 1900 et 1936, ce qui témoigne de la richesse des échanges, mais aussi de l'immense demande de communication et de dialogue entre les artisans de ces cultures.

Picasso, comme nombre d'intellectuels et artistes, convertit son arrivée dans la capitale française en une reconnaissance des lieux de référence (la francophilie était fréquente en ce début de siècle) auquel il avait accédé auparavant à travers la littérature et les revues. L'écrivain catalan Sagarra (1894-1961) s'exprimait d'ailleurs dans l'une d'elles: «Paris était l'éblouissement d'alors. Nous respirions tous et nous rêvions à travers les éditions de la couverture jaune - et à deux francs cinquante- du Mercure, de chez Plon, Garnier, ou Hachette. Les poètes que nous citions dans nos dialogues, après les grands morts de la taille de Rimbaud, de Mallarmé et de Lafforgue, étaient des personnages en pleine ascension et pleins de vitalité, et ils se nommaient Moréas, Claudel ou Valéry.» (Margarida Casacuberta, Paris-Barcelone, p.32).


S'il séjourne à plusieurs reprises dans la capitale française, le tout jeune Picasso ne s'y installe qu'en 1904, d'abord près de la place Clichy, puis dans le XVIIIe arrondissement, au bateau-lavoir, ensemble vétuste et hétéroclite d'ateliers occupés par de jeunes artistes sans le sou. C'est avant la Première Guerre mondiale qu'auront lieu deux rencontres déterminantes pour lui et qui le marqueront durablement, avec Guillaume Apollinaire (1880-1918) et Max Jacob (1876-1944). Max Jacob sera l'un des premiers amis et admirateurs de Picasso. Ils avaient déjà fait connaissance à l'occasion de la première exposition de Picasso dans la galerie d'Ambroise Vollard, en 1901, Picasso étant alors âgé d'à peine 20 ans. Max Jacob, écrivain et poète, jeune critique d'art, par sa générosité et ses qualités d'écoute, a été particulièrement important dans la vie de Picasso. «Il lui doit beaucoup. C'est Max Jacob qui l'a soutenu, encouragé, aidé, quand, tout jeune, il connaissait une profonde détresse.» (Picasso et ses amis, Fernande Olivier, p. 20) Max Jacob se rend quotidiennement chez Picasso avec Guillaume Apollinaire, la troisième figure de cette trinité: «Le père serait Picasso, le fils Max et le saint-esprit Guillaume» écrira plus tard Jean Cocteau (Max Jaco et Picasso, introduction p. XIX). Picasso aurait d'ailleurs peint cette trinité, dans son grand tableau de 1921, Trois Musiciens (op.cit). Sur cette relation tripartite, essentielle pour l'artiste, il existe de nombreux écrits et témoignages. L'amitié était pour eux une valeur forte, essentielle et le rôle des deux écrivains dans la formation intellectuelle de l'artiste primordial. Picasso s'est quelquefois exprimé à ce sujet, comme le rapporte Hélène Parmelin en 1959: «Il n'y a pas si longtemps, Picasso s'interrogeait au sujet d'Apollinaire et de Max Jacob, dont il a toujours le nom aux lèvres. Il se demandait ce qu'ils seraient devenus, s'ils avaient continué à vivre; comment ils auraient réagi aux événements. Il y songeait avec intensité, essayant, disait-il, de leur faire traverser les années qu'ils n'ont pas vécues, s'arrêtant à chaque circonstances majeures.» (Parmelin, 1959, p. 147, citée dans Max Jacob et Picasso, 1994, introduction, p XXI).

La correspondance entre Max Jacob et Picasso, si elle informe le lecteur de l'intimité entre les deux épistoliers, est également une précieuse source d'information sur la vie littéraire, Max Jacob étant maître dans l'art de la chronique. Elle rend bien compte des différents contacts de Picasso avec les protagonistes de ce début du XXe siècle.

 

Bernadette Caille, (Max Jacob, 1907 - Museum Ludwig Cologne Allemagne)