Une dation qui mêle les chefs d’œuvres à l’intime

Picasso peignait, dessinait, sculptait, écrivait. Il était indispensable l’on retrouve cette entité dans la dation, puis dans le musée. Le travail de l’artiste est un tout, que l’on ne peut apprécier dans sa globalité si l’on associe les éléments qui le composent. Bozo a ainsi mis à jour tout ce que l’artiste avait gardé précieusement auprès de lui, permettant une plus juste compréhension de son travail et de sa démarche. Les archives de l’artiste sont riches d’œuvres emblématiques de l’histoire de l’art du xxe siècle. Picasso gardait tout, les variations successives d’une œuvre ayant valeur d’œuvre. La collection témoigne ainsi de sa façon de travailler, lui qui aimait recourir à toutes les techniques.

Picasso gardait également les petites choses de la vie quotidienne et les traces de ses relations aux autres : factures, lettres, mots, enveloppes, billets de spectacles ou menus de mariage, cartes de vacances, listes d’amis, invitations ou programmes d’opéras… Beaucoup sont annotés, gribouillés, redessinés, détournés. Cette masse forme un fonds d’archives exceptionnel, un ensemble hétéroclite, austère et secret qui captive le chercheur en quête de confidences. Comme l’écrivait Arlette Farge : « L’archive force la lecture […], produit sur le lecteur la sensation d’enfin appréhender le réel. Et non plus de l’examiner à travers le récit. Ainsi naît le sentiment naïf, mais profond, de déchirer un voile, de traverser l’opacité du savoir et d’accéder, comme après un long voyage incertain, à l’essentiel des êtres et des choses. […] »[1] Rassembler, en un même lieu, minuscules traces et travaux monumentaux de l’artiste, ses chuchotements créatifs comme ses références ou ses choix permet d’en avoir une vision évidemment différente. La réussite du musée Picasso de Paris doit beaucoup à ce concept d’appropriation de l’œuvre au travers de ses multiples sources et inspirations.

Le Musée national Picasso reste un exemple unique, à ce jour : celui d’un musée constitué principalement de dations. D’après le recensement effectué par Juliette Pozzo (colloque de 2019 précité) sur les collections du musée, 83% des peintures, 82% des sculptures et 93% des dessins qui constituent sa collection sont entrés par dation en paiement de droits de succession.

La Célébration Picasso en 2023 sera enfin l’occasion de présenter et d’ouvrir le centre d’études Picasso, enjeu stratégique du Musée national Picasso-Paris. Détenteur de la plus grande collection au monde d’œuvres de Pablo Picasso et dépositaire d’une grande partie des archives privées de l’artiste, le Musée se devait de concevoir un centre d’études et de recherche. À la fois centre de ressources et centre de recherche, il a pour ambition d’être le point de rencontre et la référence sur Pablo Picasso et son œuvre pour les chercheurs du monde entier. Le Centre proposera les meilleures conditions pour accéder aux ressources du Musée. Cadre privilégié d’échanges scientifiques au sein de la communauté́ des chercheurs, il sera aussi un lieu de transmission et de partage auprès d’un public plus large, soucieux d’approfondir sa connaissance sur l’artiste.

Le centre d’études Picasso sera implanté́ à l’Hôtel de Rohan en plein cœur du Marais, à Paris.


[1] Arlette Farge, Le Goût de l’archive, Éditions du Seuil, 1989.

Empreinte (au sucre) de la main de Picasso. Début juin 1936.
Empreinte (au sucre) de la main de Picasso. Début juin 1936.
Paris, Musée national Picasso-Paris
Invitation de Mademoiselle Chanel à Madame et Monsieur Picasso à une soirée chez elle. Vers 1918.
Invitation de Mademoiselle Chanel à Madame et Monsieur Picasso à une soirée chez elle. Vers 1918.
Archives personnelles de Pablo Picasso.
Paris, musée national Picasso - Paris
Enveloppe d’un poème envoyé par Pablo Neruda à Picasso, 17 septembre 1960.
Enveloppe d’un poème envoyé par Pablo Neruda à Picasso, 17 septembre 1960.
Archives personnelles de Picasso.
Paris, Musée national Picasso-Paris.