«Mais qu'aimait-il donc, au fond ? Sans doute être ému.», Bernard Blistène, à propos de Dominique Bozo.
Dominique Bozo fut sans doute l'un des plus brillants et des plus atypiques conservateurs de musée du siècle dernier. Sa personnalité comme son talent n'ont jamais laissé insensibles ceux qui l'ont fréquenté. Fier d'être au service de la politique culturelle de son pays, il a su donner un nouvel élan au milieu des musées qui cherchaient leur voie dans une société alors en pleine mutation. Issu du concours des conservateurs en 1968, il eut un parcours singulier, très peu conforme au cursus du «corps» dans lequel il était rentré. Avec énergie, il entreprit dès 1969 de moderniser l'administration muséale. Il avait perçu, de manière beaucoup plus aiguë que nombre de ses contemporains, que les musées étaient en train de changer radicalement et que leur administration supposait non seulement des compétences nouvelles mais aussi un état d'esprit nouveau. Selon l'un de ses anciens collaborateurs, Dominique Bozo avait en tête un musée à la française, inscrit définitivement «dans le champ du service public». Ainsi, en 1969, à la tête du Musée National d'Art Moderne, alors installé au palais de Tokyo, il réfléchit au programme muséographique du futur établissement qui sera installé au plateau Beaubourg.
Fin connaisseur du milieu de l'art, historien exceptionnel, c'est lui qui aura la charge, à la demande de Michel Guy, secrétaire d'Etat à la culture, de négocier avec la famille Picasso la dation qui sera le socle du musée Picasso, ouvert en 1985 dans l'Hôtel Salé à Paris. Maurice Rheims et son équipe firent l'inventaire de tout ce que laissait l'artiste après son décès dans ses différents ateliers et Dominique Bozo eut ensuite la tâche difficile de sélectionner dans celui-ci ce qui allait devenir la collection publique la plus importante au monde sur le peintre.
Aidé par les proches de l'artiste, il a ainsi mis à jour tout ce que Picasso avait gardé auprès de lui, permettant une plus juste compréhension de son travail et de sa démarche. «Pour qui a eu accès à ce que Picasso avait protégé ou simplement conservé, [...] ce qui frappait précisément était l'absence, ou presque, d'oeuvres inachevées ou abandonnées comme on en trouve le plus souvent dans les ateliers. [...] Picasso avait gardé toutes ces toiles et sculptures comme le décor actif de sa vie quotidienne, comme s'il s'agissait là d'objets trouvés, provocants et nécessaires, placés là en attente d'un regard ou d'un complément.» (1)
Nommé directeur de ce «musée sans équivalent dans le monde, synthèse tout à fait exceptionnelle de l'oeuvre de l'artiste», comme il le dira au moment de l'ouverture, Dominique Bozo entreprend la préparation de la rétrospective Picasso présentée au Grand Palais puis au Museum of Modern Art (MoMA) de New York, en 1979 et 1980. Il notait «l'importance aujourd'hui de ce nouveau musée pratiquement sans lacunes et dont les enrichissements récents et futurs contribueront aussi à faire le lieu de cet univers aux ramifications innombrables, où se verront tout autant la création des sources, ses écarts, ses conséquences». (2)
Il devient ensuite délégué aux Arts plastiques du ministère de la Culture, poste qu'il occupe jusqu'en 1990. Revenu au centre Pompidou dont il est nommé président en 1991, Dominique Bozo entreprend une vaste rénovation, intégrant le Centre de Création Industrielle (CCI) et créant de nouvelles directions permettant d'associer toutes les formes d'art et de création. Il mêle ainsi musique, cinéma, design, architecture, spectacle vivant aux oeuvres du musée et constitue un immense centre de culture unique, revenant au projet d'origine qui définissait le Centre Georges Pompidou comme le lieu de la multidisciplinarité et de la transversalité. Mais Dominique Bozo ne poursuivra pas sa mission: il est emporté par un cancer en 1993.
Au fil des années, cet historien éclairé a changé le paysage de l'art moderne. Beaucoup lui ont reproché ses démissions fracassantes, son caractère secret, son ambition affichée. Mais d'aucuns reconnaissent à ce personnage, inclassable dans ses conceptions muséographiques, un immense talent et un sens le plus noble qui soit du «service public». «La relecture de quelques interviews données confirme l'idée d'un homme qui, face aux choix délicats de politique culturelle, sut préférer l'expérimental au dogmatisme.» (3)
1. : Dominique Bozo, in Art International, vol. XX/10, décembre 1976
2. : ibid.
3. : Jean-François Chougnet, «Monsieur le directeur», in Dominique Bozo, un possible portrait, éditions RMN, 1994.
Le Jeune Peintre. III, 1972 (Musée National Picasso Paris)