Les Picasso sont là

Bale KUNSTMUSEUM jusqu'au 21 juillet 2013

Cette histoire débute par une catastrophe. Le 20 avril 1967, un avion de la compagnie charter bâloise Globe Air s'écrase sur l'île de Chypre, provoquant la mort de 126 personnes et la faillite de Peter Staechelin, propriétaire de la compagnie. Pour payer ses dettes, il vend quatre oeuvres d'art achetées par son père, dont un Van Gogh. Mais quand il annonce vouloir aussi vendre les deux tableaux de Pablo Picasso, «Les Deux frères» et «Arlequin assis», que son père avait donné en prêt à long terme au Kunstmuseum, les évènements prennent une tournure exceptionnelle.

La valeur marchande des deux toiles était alors estimée à 8,4 MF (millions de francs suisses) de l'époque. Pour sauver ces deux pièces maîtresses du musée des Beaux-arts, le gouvernement cantonal vote un prêt de 6 MF et lance un appel au mécénat pour financer les 2,4 MF restant. Un comité de citoyens, mobilisé par un garagiste peu sensible à l'art moderne, lance alors un référendum, qualifiant d'«insensé» ce prêt pour des oeuvres d'un peintre vivant qui incarne à leurs yeux le «déclin de l'art». C'est le premier référendum pour des oeuvres d'art. Une campagne digne d'enjeux politiques se déroule alors à Bâle et dans tous le canton, les pro-Picasso organisent des rassemblements avec badge et banderolles «We like Picasso» .
C'est dans une ambiance survoltée que se déroule le 17 décembre 1967, pour la première fois en Europe, un référendum pour ou contre l'achat d'oeuvres d'art. Le «oui» l'emporte avec 5 000 voix d'avance (32 118 contre 27 190). Les Bâlois ont sauvé leur deux Picasso.

Picasso, âgé de 86 ans à l'époque, fut si touché par cette marque d'amour de la population bâloise qu'il invita, dès le lendemain, le directeur du Kunstmuseum, Franz Meyer, dans sa maison à Mougins. «Picasso lui a dit de choisir une des toiles de l'année 1967 qui remplissaient son atelier», raconte Kurt Wyss, ancien photographe du journal bâlois National Zeitung, témoin de la scène. Franz Meyer a demandé au maître espagnol de poser deux toiles «Vénus et l'Amour» et «Le Couple» côte à côte. «Je ne sais pas laquelle des deux choisir.» Face à l'indécision du Bâlois, Jacqueline Picasso suggère à son mari: «Pourquoi pas les deux ? Ils doivent rester ensemble...» Picasso acquiesce.

Puis, dans la salle à manger où ils allèrent boire un thé, était posée en évidence contre un mur une toile "Homme, Femme et Enfant" de la période rose comme les deux tableaux sauvés par les Bâlois. Picasso rajouta cette toile, qu'il avait gardée 61 ans, au «cadeau» pour les Bâlois, ainsi qu'une grande esquisse des Demoiselles d'Avignon. Et le Kunstmuseum hérita, cette année-là, d'un cinquième Picasso, Le Poète, un portait offert par Maja Sacher, l'une des héritières du fondateur du groupe chimique Hoffmann-La Roche.

Arlequin assis. Le peintre Jacinto Salvado, 1923