Le Tub, l'une des premières peintures de Picasso réalisée à Paris en 1901(Z. I, 103), tout juste exposée l'année suivante dans la galerie de Berthe Weill, est à l'origine de la rencontre entre Wilhelm Uhde et Pablo Picasso. L'histoire est racontée dans les ouvrages de Uhde, Picasso et la tradition française publié en 1928 puis dans Von Bismarck bis Picasso en 1938. En 1905
le marchand achète cette oeuvre dix francs à un matelassier de Montmartre, le père Soulier. Par un hasard opportun, Uhde fait la connaissance de Picasso le soir même, au cabaret Au Lapin Agile. Picasso aurait été si fou de joie de trouver un amateur qu'il en aurait tiré des coups de feu.
Si Wilhelm Uhde est avant tout critique d'art et collectionneur, ses activités de courtage effectuées entre 1905 et 1914 jouent néanmoins un rôle majeur pour la promotion de l'art moderne en général et de l'art cubiste en particulier. Véritable passionné, il ne collectionne pas pour vendre mais vend plutôt pour enrichir sa propre collection. Né en Allemagne, ayant étudié l'histoire de l'art à Florence, il arrive à Paris en 1904 et devient rapidement le chef de file de l'intelligentsia allemande qui se regroupe au café du Dôme à Montparnasse. Daniel-Henry Kahnweiler dira de lui dans les entretiens Mes galeries et mes peintres:« Wilhelm Uhde, si fin, si cultivé...Il a joué un rôle très important dans l'évolution de l'art moderne. Or il n'a pas la place qu'il mérite... [il] connaissait Picasso avant moi». C'est en effet à Uhde que Picasso envoie une note désespérée pour lui demander de venir voir sa dernière toile qui a déjà rebuté le marchand Ambroise Vollard et le critique Félix Fénéon. Nous sommes en 1907, il s'agit des Demoiselles d'Avignon. Après plusieurs semaines de réflexion pour comprendre ce nouveau langage, c'est Uhde qui conduit le jeune marchand Kahnweiler pour la première fois à l'atelier du Bateau-Lavoir.
Uhde et Picasso se comprennent et ressentent la même admiration pour l'oeuvre du Douanier Rousseau. En 1908, Uhde ouvre une galerie au 73 rue Notre-Dame-des-Champs qu'il inaugure avec la première exposition personnelle de Rousseau à Paris tandis que Picasso organise le célèbre banquet en hommage à Rousseau auquel le marchand assistera. Si la galerie fonctionne à peine deux ans, Picasso y exposera toutefois ses oeuvres lors d'une manifestation collective organisée du 21 décembre 1908 au 15 janvier 1909, puis à l'occasion d'une exposition personnelle en mai 1910 et dont l'unique témoignage, un compte-rendu de Léon Werth publié dans la Phalange en juin 1910, nous permet d'identifier deux des oeuvres présentées:«ce compotier et ce verre qui manifestent leur hypostructure» et un «paysage aux cheminées cubiques» (Zervos II*, 124 et II*, 158, Musée de l'Ermitage, Saint-Petersbourg).
Uhde continue à exposer et à vendre les toiles de Picasso, Braque et Rousseau, d'abord dans un couvent du boulevard des Invalides loué à L'Etat, puis dans son appartement situé sur les quais en face de l'Ile Saint-Louis où il reçoit marchands, collectionneurs et directeurs de musées. En prêtant ses oeuvres ou en envoyant celles vendues à ses amis tels que le collectionneur Edwin Suermondt ou encore le marchand Alfred Flechtheim, il participe en 1912 à l'organisation d'évènements artistiques d'envergure internationale : la Sonderbund de Cologne puis la Secession de Berlin. Cinq peintures de Picasso seront ainsi présentées à Berlin et seize oeuvres à Cologne dont Arlequin assis, 1901 ou encore L'Acteur, 1904-05, aujourd'hui dans la collection du Metropolitan Museum de New York. C'est également à cette époque que la collection de Uhde trouve «sa forme définitive» avec «une douzaine de tableaux essentiels de Picasso, de l'époque cubiste» parmi lesquels prend place le portrait du marchand peint en 1910. Uhde raconte au sujet de ce dernier que Picasso l'aurait réalisé afin de pouvoir l'échanger avec une toile de Corot dont il s'était épris. Uhde lui aurait toutefois préféré le portrait de Vollard et aurait essayé de le racheter à son confrère, mais en vain, le tableau ayant été inalement acquis par le collectionneur russe Morosoff à un prix deux fois inferieur à celui qu'il avait initialement proposé.
S'il est difficile de retracer avec précision la liste des oeuvres acquises et vendues par Uhde, nous connaissons les treize peintures «essentielles» de Picasso. A la déclaration de guerre, Uhde fuit en Allemagne laissant derrière lui sa collection. Ses oeuvres, au même titre que celles appartenant à Kahnweiler, feront l'objet d'un séquestre de guerre et seront vendues aux enchères par l'Etat français le 30 mai 1921. Parmi celles-ci, Femme nue assise (Z. II*, 201) acquise par la Tate Gallery de Londres en 1949, Jeune Fille à la Mandoline (Z. II*, 235), au Museum of Modern Art de New York depuis 1969 ou encore Le Poète (Z. II*, 285) entrée en 1947 à la Fondation Guggenheim de Venise.
Bibliographie :
- Wilhelm Uhde, Picasso et la tradition française published, Ed. des Quatre Chemins, Paris, 1928.
-Wilhelm Uhde, De Bismarck à Picasso, Ed. du Linteau, Paris, 2002 (ed. originale Von Bismarck bis Picasso, 1938)
-Pierre Daix et Joan Rosselet, Le Cubisme de Picasso, Ides et Calendes, Neuchâtel, 1979
Portrait de Uhde, 1910 (Collection particulière)