Assurément, ces deux-là étaient faits pour se rencontrer. C'est la première impression qui se dégage de ce dialogue magistralement mené entre les oeuvres de Picasso et celles de Christian Lacroix. Dans un parcours aux dimensions humaines (les petites expositions n'ont rien à envier aux grandes messes de l'art du point de vue du visiteur, dont la délectation visuelle n'a pas le temps de se lasser), les costumes de scène du couturier aux couleurs chatoyantes semblent avoir les mêmes racines culturelles que les oeuvres de Picasso, tant leur proximité est évidente. On imagine, on sait que Picasso, sous des allures de bohème, aimait s'habiller, choisir des étoffes, faire travailler les tissus dans le sens de la trame plutôt que dans celui de la chaîne. Il est certain que Picasso aurait aimé être habillé par Lacroix!
La confrontation de leur travail éveille les sens, fait ressortir les harmonies des tableaux de Picasso et l'humour de ses dessins et donne aux costumes de Lacroix des lettres de noblesse. Tous deux semblent soucieux de s'immerger dans la culture traditionnelle de cette si belle région, avec en commun une énergique ambition et beaucoup de finesse. Leur regard malicieux sur les héros de romans ou de pièces de théâtre cohabite avec des habits de torero (crées par Lacroix pour Javier Condé) et les photos de Picasso prises dans les arènes. On rêve d'actrices au port de reine, divinement drapée de robes aux couleurs chaudes, se mouvant avec grâce, leurs noeuds, rubans et plissés toujours placés aux endroits stratégiques et seyants. On s'extasie devant les habits du matador, en soie et rebrodés. Lacroix en a d'ailleurs décliné une pièce présentée également à cette occasion. On s'émeut devant les petits arlequins, l'un des thèmes préférés de Picasso.
Tous deux retranscrivent d'une main volontaire les sources culturelles de cette Provence tant chéries des artistes et les petites choses de la vie propres à ses habitants.
Le musée Réattu a tenu un rôle important dans la destinée des deux hommes. À l'occasion des corridas, Picasso venait volontiers y flâner et, en 1957, le musée accueillait pour la première fois une exposition de dessins de l'artiste. Puis, au fil des ans et des liens amicaux noués entre Jean-Marie Rouquette, le conservateur du musée et l'artiste, ce dernier fit don au musée de cinquante-sept dessins réalisés entre les mois de décembre 1970 et février 1971.
Pour Christian Lacroix, originaire d'Arles, l'exposition de 1957, visitée en compagnie de ses parents, scellera son destin: «C'était en 1957, j'avais six ans. Quel choc ce fut! J'en ai été imprégné toute ma vie.»
Le dialogue entre les deux artistes est ponctué de photographies de Clergue, Ronis, Doisneau, Villers ou Pirotte, qui agrémentent parfaitement le propos.
Notons que pour arriver dans les salles consacrées à cette Invitation à Christian Lacroix, il faut traverser une partie du musée. Et c'est un enchantement. Le visiteur nonchalant peut ainsi prendre le temps d'admirer le travail de Javier Perez, artiste invité pour le nouvel accrochage du musée dont le parcours a été imaginé par Michèle Moutashar et Andy Neyrotti. Installations ou photographies, une force et une beauté brute se dégagent de son oeuvre.
Du 17 mai au 30 décembre 2012. Musée Reattu, 10 rue du Grand Prieuré, 13200 Arles.
Pierrot et arlequin, 14 janvier 1971 (Don de l'artiste - Musée Réattu Arles)