La somme engendrée par les douze œuvres de Picasso correspond à près d’un quart du chiffre d’affaire global de La Peau de l’Ours, qui lui-même quadruple l’investissement total de l’association. En accord avec les statuts de l’association, chaque membre récupère sa part d’origine ainsi que le pourcentage maximum ; le gérant touche sa prime et chaque artiste profite de cette réussite en touchant un intérêt sur le bénéfice relatif à son œuvre, soit une somme globale de près de 12000 francs. Si la presse relate la vente avec curiosité et étonnement, elle peut être parfois critique envers l’association, dénonçant le caractère purement spéculatif de l’opération. Le 15 mars 1914, on pouvait lire dans La Revue française : « Jusqu'à présent ce désir de gain était assez discrètement dissimulé par un amour apparent pour les œuvres rassemblées. Une vente vient d’avoir lieu qui, renonçant à toute ambigüité, montre nettement dans quel but sont faites certaines collections et quels résultats on peut espérer ». D’autres articles, quant à eux défenseurs de l’art moderne, mettent en avant les risques encourus par les membres et leurs choix parfois audacieux cependant, ils ne mentionnent pas le caractère tout à fait particulier de la vente. Nous pouvons ainsi penser que Level et ses amis ont préféré rester modestes en taisant le partage avec les artistes ou alors, qu’ils ne croyaient guère en une telle réussite et ne pouvaient s’imaginer que de tels bénéfices seraient engendrés. Seul le critique Apollinaire remarque : « c’est la première fois qu’une partie du produit de la vente a été réservée aux artistes »[i]. Son article étant paru deux semaines après la vente, ce dernier, proche des artistes d’avant-garde, avait probablement appris cette information de la bouche de Picasso ou de l’un de ses amis.
La Peau de l’Ours devenait précurseur du droit artistique avec une répartition financière du bénéfice des ventes données aux artistes. L’entreprise les intéressait même aux transactions de revente dites de second marché. Elle venait de créer le « droit d’auteur », prélèvement direct sur une vente publique ou privée de toute œuvre d’art, somme revenant directement à l’artiste ou, à défaut, à ses ayants droits. C’est pourquoi le 4 avril 1914, André Level écrit à Picasso : « Mon cher ami, Vous savez depuis longtemps que l’Association de la Peau de l’Ours a décidé, dès l’origine, de réserver aux artistes 20% des bénéfices nets éventuels. Nous serions heureux de vous voir accepter, en un chèque ci-joint no 62.927 sur la Banque nationale de crédit, la part qui revient si légitimement de ce chef, à titre de droit d’auteur, et qui, en aucun cas, - nos statuts ne nous le permettent point – ne saurait faire retour aux membres de notre Association »[ii]. La Peau de l’Ours : précurseur ; oui car la France ne légifèrera sur le droit de suite ou droit d’auteur qu’en 1920.