Des images comme un texte, les collaborations de Picasso et Prévert

« Le mot image veut dire ce qu’il veut dire, ce qu’on lui fait dire, aussi bien ce que les gens ont appelé une métaphore : c’est un mot un peu drôle, un peu savant, comme une figure ou un visage de rhétorique, toutes ces choses ont des noms. Mais du moment qu’on écrit avec de l’encre ou un crayon, on peut faire des images aussi, surtout comme moi, quand on ne sait pas dessiner, on peut faire des images avec de la colle et des ciseaux, et c’est pareil qu’un texte, ça dit la même chose. » (Jacques Prévert)[1]

Et Picasso disait au poète : « Tu ne sais pas dessiner, tu ne sais pas peindre, mais tu es peintre ! »[2]

Jacques Prévert, qui a abondamment écrit pour les artistes de son temps (de Vasarely à Klee, en passant par Miró et bien d’autres aujourd’hui oubliés), contribuera largement à des collaborations artistiques de Picasso avec nombre de créateurs.

Leur première participation commune à la création d’une œuvre est le ballet de Roland Petit Le Rendez-vous, sur un argument de Jacques Prévert, avec une musique de Joseph Kosma, créé pour les Ballets des Champs Élysées. Les décors sont signés Brassaï et le rideau de scène Picasso (première représentation le 15 juin 1945). Le ballet évoque le Paris bohème de l'après-guerre. Un jeune homme tente d'échapper au destin funèbre qui lui a été prédit dans un horoscope. Il échoue lorsque son chemin croise celui de « plus belle fille du monde »… Le rideau de scène reproduit Bougeoir et masque, une huile sur toile peinte par Pablo Picasso en 1943. Quant à Brassaï, il restitue des clichés de décors parisiens comme le bal du passage Thiéré, dans le XIe arrondissement ; des escaliers et un lampadaire pris à Montmartre et la façade de l’hôtel de La Belle Étoile dans le quartier Latin. Il a relaté ses recherches dans Conversations avec Picasso. Le photographe les compléta d’un troisième décor qu’il n’évoque pas dans ses Conversations avec Picasso, qui représente un pilier de métro.

Sur le thème central du ballet, le poète écrit une chanson, Les enfants qui s'aiment, reprise dans le film de Marcel Carné et passée à la postérité : « Les enfants qui s’aiment s’embrassent debout/ Contre les portes de la nuit/Et les passants qui passent les désignent du doigt/Mais les enfants qui s’aiment/Ne sont là pour personne […] »

Prévert, toujours enthousiaste, met en œuvre avec Picasso des collaborations inventives : « Et il s’en va, toujours émerveillé, vers d’autres découvertes, toujours la même, la découverte du monde, la découverte de la beauté, vieille comme le monde, jeune comme la lumière. »[3] Ainsi, le jeune André Villers (1930-2016) rencontre l’artiste en mars 1953. Leur collaboration artistique est une aventure expérimentant la photographie et les découpages. Ces dix années de création et de collaboration unique aboutissent à la publication, en 1962, par la galerie Berggruen, d’une trentaine d’images sous le titre Diurnes et dont la préface est écrite par Jacques Prévert. C’est ce dernier qui aurait trouvé ce titre : « On va l’appeler Diurnes. On en a marre des nocturnes ! »

Trois ans plus tôt, Jacques Prévert avait déjà publié Portraits de Picasso, dont le texte est accompagné de photographies de Picasso par André Villers.[4] Picasso a « investi » l’un des exemplaires du livre pour son ami et auteur. Les « dédicaces » de Picasso dans l’ensemble d’un ouvrage sont rares mais toujours fondées sur la spontanéité, la liberté d’écrire, de dessiner, de peindre ou de « gribouiller ». Il partage ici une intimité sincère avec Prévert, il fait don au poète de son inventivité inépuisable, de son humour et de son autodérision. Créatures et caricatures se côtoient dans des formes faussement simples et des teintes vives et joyeuses, déclinées au fil des pages, comme un clin d’œil amical, une union sacrée. Ces pages animées ne sont pas sans rappeler l’attrait du peintre pour les mots et les livres qu’il illustre comme le reste selon sa personnalité, c’est-à-dire en abondance et en donnant la sensation d’une improvisation volontairement maladroite.[5] Jacques Prévert possédait d’autres ouvrages dédicacés par son ami, comme Toros y toreros, de Luis Miguel Dominguin, avec, là-aussi, des rehauts de crayons de couleurs gras, mais cette fois avec sur un thème cher au peintre : la corrida.[6]

 


[1] Cité par André Pozner dans Jacques Prévert Collages, Éditions Gallimard, 1982.

[2] Cité par André Pozner, op. cit.

[3] Jacques Prévert, Portraits de Picasso, 1959, nouvelle édition aux éditions Ramsay en 1981.

[4] Jacques Prévert, op.cit.

[5] Jacques Prévert, Portraits de Picasso, 1959. Picasso a illustré des pages à l’aide de crayons de couleurs gras.

[6] Luis Miguel Dominguin, Toros y toreros, éditions du Cercle d’Art, 1961. Prévert possédait un exemplaire du livre dédicacé et illustré par Picasso le 18 avril 1963.

Entre Picasso et Prévert, une longue amitié et des collaborations artistiques nombreuses
Picasso : Portrait de Prévert, 1956,
carnet de dessin ( collection privée)
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Picasso : Portrait de Prévert, 1956,
carnet de dessin ( collection privée)
Entre Picasso et Prévert, une longue amitié et des collaborations artistiques nombreuses
Picasso, dessin représentant Jacques Prévert, 1956, ©SuccessionPicasso2021