Les Picasso de la Collection Frieder Burda

S'il est bien une période longtemps controversée dans la carrière de Picasso, ce sont les années qui ont précédé sa disparition en 1973. En 1970, une exposition au Palais des Papes, à Avignon, rassemblait cent soixante-cinq peintures réalisées entre 1969 et 1970. Elle fit scandale, tout comme celle de 1973, également présentée à Avignon, éreintée par la critique. Le maître, âgé, semble se défouler, aller au plus pressé, témoigner dans l'urgence de ses préoccupations intimes comme de son rapport à l'art: absolu, fusionnel. C'est dans sa dernière villa Notre-Dame-de-Vie que Picasso produit en toute quiétude une oeuvre comme à son habitude tourmentée, mais sans contrainte, soulagée du poids d'une vie désormais derrière lui. L'icône poursuit sa route, à l'abri des curieux, laissant libre cours à un travail qu'il sait légendaire. Le maestro est âgé, l'intérêt qu'on lui porte vacillant. Pourtant, ces travaux surprennent par la force et la volupté qu'ils dégagent. Sa vie avec Jacqueline en fait le suc, le peintre abandonne les sujets politiques et se recentre sur son univers, davantage axé sur le corps, la chair, l'être aimé, le silence de l'intimité. Malade en 1965, très inquiet de ne pouvoir retravailler après une lourde et lente convalescence, Picasso a conscience de la fatalité d'une fin désormais proche: ses derniers travaux semblent récapituler une longue vie de recherche donnant cependant à voir de nouvelles possibilités picturales, entre virtuosité et dérapage, précision du geste et gribouillage, testament violent et amour de la vie comme de la peinture. «Ce qu'il faudrait, c'est trouver le naturel... Le moyen de rendre la chose naturelle. Que la peinture soit tellement intelligente qu'elle devienne la même chose que la vie», confiait-il à Hélène Parmelin. Malgré une pluie d'hommages depuis un demi-siècle, le maître au regard perçant poursuit sa quête de perfection, avec une obscure fureur de vivre mais sans nostalgie, certain que tout reste à faire. Entre 1996 et 2004, Frieder Burda achète huit Picasso de cette dernière période (Personnage (enfant), 1960; Le Peintre et son modèle, 8 et 9 novembre 1964; Nu assis, 3 février 1968; Nu couché, 7 octobre 1968; Homme debout, 19 septembre 1969 (voir illustration); Buste d'homme, 22 septembre-2 novembre 1969; Homme au chapeau assis, 16 février 1972). Grand collectionneur, il envisage de construire un musée à Mougins, dans l'arrière-pays cannois, tant fréquenté par le cercle de Picasso et tant aimé de ce dernier. C'est ce corpus qui a été présenté au musée Granet, à Aix-en-Provence, dans une exposition (26 mai-30 septembre 2012) consacrée aux chefs d'oeuvre de ce collectionneur amoureux d'art et de culture, qui préféra finalement installer son musée à Baden-Baden en Allemagne, dans une magnifique architecture, écrin signé par Richard Meier.

On aurait aimé que le travail de Picasso soit mis en regard ou confronté à celui des artistes présents dans l'exposition. Un accrochage plus subtil aurait pu davantage provoquer dialogues et divergences. Surtout, il aurait permis de montrer la conviction du peintre d'avoir tant à dire et à partager avec ses cadets. Pour le collectionneur, cette ultime période de Picasso synthétise tout l'expressionnisme. Avec le triomphe alors incontesté de l'art abstrait aux États-Unis et en Europe, Picasso était entré en résistance. On a pensé, on a su, un moment, ses travaux des dernières années perdues pour les historiens de l'art. Que nenni, faussement maladroits, ils en sont désormais des pièces incontestables.

(Museum Frieder Burda

Lichtentaler Allee 8b

D-76530 Baden-Baden)