1947, seconde exposition new yorkaise

Leur prochaine entrevue a effectivement lieu dans le sud de la France durant l’été 1947, comme en témoigne Françoise Gilot dans son livre Vivre avec Picasso, Sam et Jane Kootz leur rendent visite à Golfe-Juan en juillet : « Kootz voulait acheter, Pablo préférait aller se baigner. Après une semaine d’attente, Kootz manifesta quelque impatience. Pablo lui dit : "Rentrez à Paris, et allez voir Sabartés à l’atelier. Il vous montrera des toiles et vous choisirez".  Il écrivit à Sabartés, l’autorisant à laisser Kootz pénétrer dans l’atelier pour regarder des toiles. Kootz s’y rendit, choisit un portrait de Dora Maar, aux formes torturées, qui datait de 1943 ; une très jolie nature morte avec une théière et des cerises, exécutée en mai 1943 ; une autre nature morte avec un verre et un citron ; une toile de la série des ponts de paris ; un petit portrait très graphique de la fille de la concierge de la rue des grands augustins, et deux bustes de moi, l’un très proche de la femme-fleur, l’autre coiffé d’un bizarre chapeau vert.… »[i]. Le marchand redescendit alors dans le sud en transportant les œuvres sélectionnées mais la situation lui échappa. Picasso se serait très violemment emporté contre Sabartés, l’artiste ayant autorisé Kootz à voir ses peintures mais non à les emmener. Suite à ce malheureux malentendu, le marchand rentra aux Etats-Unis les mains vides, Picasso ne décolérant pas de l’initiative de l’Américain. Cependant Kootz et sa femme Jane qui parlait couramment français ont continué à écrire à Picasso et une lettre de cette époque, laisse même penser que l’Espagnol et l’Américain ne se sont pas quittés en si mauvais terme : « Le plus je pense à votre idée d’exposer votre nouveau travail, le plus je deviens convaincu que votre instinct est juste, comme d’habitude. Je suis tout à fait d’accord qu’il faut attendre que vous ayez complété les œuvres que vous espérez avoir terminées au moment de mon retour à Noël. Comme vous, je suis sûr que ces nouvelles peintures, avec l’ensemble des autres œuvres de 1947 que vous voudrez bien mettre à ma disposition feront un ensemble splendide »[ii]. Si l’on peut remettre en cause l’exactitude des propos de Kootz – ceux-ci n’ayant jamais été confirmés par Picasso – les lettres suivantes confirment la venue de Kootz à Paris en décembre dans le but d’organiser une nouvelle exposition personnelle Picasso à New York. Ainsi le 26 janvier 1948 s’ouvre la deuxième exposition Picasso dans la galerie de Sam Kootz comprenant essentiellement des œuvres de 1947 complétées par un ensemble de peintures de 1941 à 1945 : « The First World-Showing of painting by 1947 by Picasso ». Le marchand ne tarissant plus de superlatifs puisqu’ici il ne s’agit plus de la première exposition après guerre en Amérique mais de la première exposition d’œuvres de 1947 dans le monde ! L’exposition comprend quatorze peintures, dont certaines déjà sélectionnées durant l’été : La Fille de la Concierge [Z.XV, 56] (Fig . 11) ou la Femme assise [Z.XV, 49] ( Fig  .  12) , portrait de Françoise Gilot en femme-fleur et une Nature morte aux cerises [Z.XV, 59] ainsi que les deux larges compositions : Nature morte à la cafetière [Z.XV, 45] ( Fig.  13 ) et Le Hibou bleu [Z.XV, 22] ( Fig .  14 ) . L’ensemble est complété par certaines œuvres déjà présentées à Hollywood : Femme assise de 1941 [Z. XI, 283] ( Fig .  15 ) , Nature morte aux fleurs, de 1943 [Z. XIII, 128]( Fig.  16) , Buste de femme, 1944 [Z. XIII, 129], Nature morte au crâne, 1945 [Z. XIV, 87] ( Fig.  17 ) , ce qui laisse penser que Kootz est reparti de Paris en décembre avec seulement quelques œuvres, probablement les huit nouvelles peintures exposées chez Kootz que l’on peut voir sur une photographie de Michel Sima datant du 29 décembre 1947 montrant le marchand dans l’atelier des Grands Augustins derrière Picasso à côté des dites-œuvres[iii] ( Fig.  18)

Cette photo reproduite dans le catalogue de l’exposition accompagne un texte d’introduction de Kootz où celui-ci raconte dans un ton légèrement arrogant, comment il a passé Noël 1947 chez Picasso, tout d’abord dans le sud puis revenant à Paris avec l’artiste. Il y explique également le choix des œuvres : « Je me suis limité presque exclusivement au travail de 1947, pensant que l’Amérique souhaiterait voir les derniers tableaux créatifs de Picasso. C’est une période de grande sérénité. La sauvagerie, la haine et le désespoir des années de guerre ont disparu. », cette période correspondant en effet à un renouveau dans le style de l’artiste qui retrouvait la sérénité avec sa nouvelle compagne Françoise Gilot et la naissance de leur fils Claude en mai 1947. Les journaux relatent l’exposition avec la même bienveillance. Si l’année précédente les critiques semblaient déconcertées par le style des œuvres, la distorsion des visages ou leur violence, elle reconnaissent ici le génie de l’artiste et toutes mettent en avant le rôle de Kootz dans cette fabuleuse entreprise, ce n’est pas pour rien que le marchand est un ancien publicitaire ! Dans le Art Digest du 1er février 1948, l’article sur l’exposition se termine ainsi : «  L’exposition dans son ensemble est remarquablement cohérente, peut-être parce que Kootz a eu la possibilité d’effectuer une sélection judicieuse »[iv] ou encore dans Artnews : « Les tableaux de Picasso de 1947 ont leur première mondiale –  ‘‘la première mondiale dans la ville’’, comme dirait Hollywood – et ce n’est pas seulement un scoop pour Sam Kootz qui a fait de nombreux allers-retours entre Paris et New York, mais aussi une vision représentative d’un grand maître »[v]. La couverture médiatique est telle que l’exposition ne peut avoir qu’un grand succès attirant tous les amateurs parmi lesquels l’un des plus grands collectionneurs américains d’art impressionniste et moderne Stephen C. Clark à qui le galeriste vend alors Les Premiers Pas [Z.XIII, 36]. ( Fig .  19 )

 

[i] Françoise Gilot et Carlton Lake, Vivre avec Picasso, Ed.10/18, Paris, 2006, (1ere ed. 1964), p.181-83.

[ii] Lettre de Sam Kootz à Picasso, non datée [1947], Archives Musée Picasso, Paris (en français).

[iii] Archives of American Art,  Washington D.C., Kootz Gallery records, aussi reproduite dans le catalogue de l’exposition, Samuel M. Kootz Gallery, New York, 26 janvier – 14 février 1948.

[iv] Alonso Landsford, « New Picassos from Paris Rate High », The Art Digest, 1er février 1948.

[v] ArtNews, février 1948.

Pablo Picasso, La fille de la concierge, 3 mai 1947.
Pablo Picasso, Femme assise, 2 avril 1947.
Pablo Picasso, Nature morte à la cafetière, 6 avril 1947.
Pablo Picasso, Femme assise dans un fauteuil, 1e septembre 1941.
Pablo Picasso, Nature morte aux fleurs et au compotier, 14 septembre 1943.
Pablo Picasso, Nature Morte au crane et au pichet , 10 mars 1945.
Michel Sima, Picasso et Kootz aux Grands-Augustins, 29 decembre 1947.
Pablo Picasso, Les premiers pas, 21 mai 1943.