B. G. : Quand on regarde les photos de David Douglas Duncan à La Californie avec les enfants, on a une impression de moments magiques partagés. Pouvez-vous nous parler de ces moments ?
Oui, c’est effectivement ce qu’on ressent en regardant les photos qui ont été prises de nous avec Picasso lorsque nous étions enfants. Il y a Duncan mais aussi Edward Quinn, qui avait commencé bien avant à faire ce type de reportage. Quinn le faisait de manière un peu plus formelle, avec une mise en scène, c’était du journalisme.
Le travail de Duncan est cru, il représente la réalité telle qu’elle était. C’est comme s’il n’existait pas, il est là mais il n’a pas d’importance, il avait un regard plus naturel sur ce qu’il se passait. C’est d’ailleurs une espèce de performance parce qu’on voit les choses d’une autre manière, ça donne une approche plus naturelle de ce qui se passe.
Je voudrais quand même revenir sur les photos précédentes, le travail de journalisme de Quinn. On observe quand même ce jeu du parent avec l’enfant autour du dessin, le père, qui se trouve être Picasso, qui le guide à travers plusieurs choses, lui montre des objets simples : une cocotte, un chat ou je ne sais quoi. Dans cette version édulcorée de la réalité, on me demande de faire le portrait de Picasso. C’est très rigolo, je fais le portrait, mais on voit bien que ce n’est pas très naturel. En revanche, que les enfants soient là, aux alentours, qu’on fasse des choses et que Picasso regarde un peu ce qu’on fait, ça c’est très vrai, très réel.
Dans le cas des photos de Duncan ou d’autres, mais surtout de Duncan, c’est le plus évident puisqu’il était comme implanté là, on était juste autour de la table, on avait déjeuné, on poussait les affaires et on commençait à faire des choses, il n’y avait pas forcément de thématique. Il arrivait que Picasso se mette à côté de nous, c’était normal, comme une famille. Ces moments préservés, que faut-il en penser ? Pour moi c’était normal, c’était du quotidien. Beaucoup de ce que nous faisions nous, les enfants, se passait en dehors de l’atelier, on faisait des jeux liés au milieu de l’art par exemple. On fabriquait des galeries, des invitations aux vernissages, on imitait les portes des galeries et bien sûr on faisait les tableaux que l’on voit dans une exposition, par exemple une vue avec un bateau à trois mâts, le genre de peinture à la cloche que l’on voit dans les galeries de tableaux. Ça faisait rigoler tout le monde, du coup après lui en faisait aussi. Le fond des boîtes d’allumettes, c’était la taille des tableaux… C’était une blague. On faisait ce genre de choses qui aurait pu se passer ailleurs, dans une autre famille.
Il a découpé beaucoup de mousquetaires. C’était du papier plié plusieurs fois que l’on découpait et puis il y avait tout un paquet de mousquetaires. On pouvait le faire à l’endroit ou à l’envers et chacun de nous en avait un. C’était les mousquetaires de Picasso, mais pas tout à fait les siens puisqu’ils étaient marqués par les différents enfants, Paloma, Catherine, Gérard le fils d’Inès et moi. On essayait d’en faire autant, c’était de petites émulations…