La notion d’orientalisme, dans l’histoire de l'art du XIXe siècle, s'impose au lendemain de la campagne d'Égypte (1798) et toutes les écoles occidentales ont peu ou prou embrassé cet engouement. Dès le XIXe siècle, l'enthousiasme des peintres à partir en caravane vers un univers attisant leur curiosité est contesté de façon récurrente. Le cercle des critiques et des amateurs d’art ne goûte guère les productions à l’envi de scènes faciles, associant couleurs et volupté, sans réelle recherche formelle sur les cultures, la richesse de l’histoire et des savoirs des pays visités. Certaines figures intellectuelles, à l’instar de Victor Hugo, plus tard, se sont émues des dérives colonialistes observées et de la maltraitance des lieux et des œuvres, mettant en avant l’incroyable foisonnement des cultures malmenées. Les enjeux politiques de la prise d’Alger en 1830 soulignent l’importance que revêt « l’Orient » aux yeux du pouvoir, en « l’absence de projet colonial ayant présidé à la décision d’invasion, [qui] n’ôte rien à la réalité de la violence militaire qui se déchaîne sur place. »[1] Les artistes ont été tantôt accusés d’épouser les idées impérialistes, tantôt vilipendés de produire des œuvres à moindre effort et dans ces circonstances.
C’est dans ce contexte qu’Eugène Delacroix (1798-1863) entreprend un voyage au Maroc et en Algérie en 1832, dont il tirera pourtant des œuvres majeures et des carnets exceptionnels. Technicien et coloriste hors pair, il bénéficie de commandes, reçoit tous les honneurs officiels. Mais l’artiste rejette le carcan des règles académiques en matière de peinture, se fait connaître pour ses toiles « manifestes » lors de la révolution de 1830 (La Liberté guidée par le peuple), avant d’évoluer vers des sujets différents, et notamment grâce à ce voyage (Femmes d’Alger, 1834, Noce juive dans le Maroc, 1841).
L’orientalisme, d’abord historique, musical et littéraire, devient un champ de réflexion et de création. Orient imaginaire ou fantasmé, son approche esthétique dans un contexte politique colonial mêle consciemment ou non enjeux de pouvoir et beauté du geste pictural. Après ce voyage en Afrique du Nord, Eugène Delacroix décline de nouveaux motifs au cours des années suivantes. Femmes d’Alger dans leur appartement dont il existe deux versions, l’une conservée au musée du Louvre, à Paris, l’autre, au musée Fabre, à Montpellier, inaugurent cette veine qui se prolongera pendant trente ans, jusqu’à son décès. Son tableau, dont il en émane une impression de luxe et d’exotisme, déchaîne les critiques par son traitement inhabituel des émotions et par ce qu’il dégage. « Toute la peinture de Delacroix se situe dans ce rapport difficile entre l’imaginaire et le réel, entre l’observation du vrai et l’impulsion visionnaire. »[2]