En juillet 1914, Diego Rivera propose à Zinoviev de venir le rejoindre aux Baléares, mais il refuse et s’engage dans l’armée pour la durée de la guerre. Est-ce une façon de montrer son attachement à la France ? Est-ce pour s’éloigner de son rôle d’agent-secret qu’il a accepté de façon un peu forcée, ou au contraire est-ce pour envoyer en Russie des rapports sur ce qui se passe sur le front, et surveiller les autres Russes, assez nombreux, qui s’y trouvent aussi ? On l’ignore.
La fiche sur Wikipédia[1], bien renseignée, nous dit qu’ « Il rejoint la Légion étrangère, fait ses classes au sein du bataillon C du 2e Régiment étranger, cantonné au camp de Mailly entre Marne et Aube. Le 18 octobre (1914), l’unité part pour les tranchées de Craonnelle, dans l’Aisne. Il combat sur le front alors en première ligne, notamment comme mitrailleur. »
Zinoviev a voulu enregistrer par ses notes dans des carnets, des photos et de nombreux dessins, le déroulé de « sa » guerre. Ses carnets sont disponibles, dans leur intégralité, sur un site russe[2]. Ils couvrent la période du 25 décembre 1914, jour de Noël, au 15 novembre 1918, où la signature de l’Armistice le surprend à New York. Il termine en effet une tournée exténuante à travers les États-Unis et le Canada, faite avec une centaine de légionnaires, pour récolter des fonds de soutien à la France. À cette occasion, ils sont reçus à la Maison Blanche par le président Woodrow Wilson. Alexandre Zinoviev terminera sa vie en France, où il fera notamment des décors et costumes pour le Music-Hall et des dessins de mode. Naturalisé Français en 1938, il décède à Paris en 1977.
Ses carnets permettent de suivre, presqu’au jour-le-jour, ses affectations, les combats menés, le moral des troupes, avec toutefois des interruptions, notamment lorsqu’il n’est pas sur le front. On peut ainsi « en creux » savoir qu’il est peut-être de retour dans son atelier à Paris, ce qu’il signale parfois. Dans la période qui nous intéresse, il pourrait s’y trouver après le 13 juillet 1915 jusqu’au 1er juin 1916, puis du début du mois de septembre 1916 jusqu’au 20 février 1917[3].
Ces divers éléments donnent à penser que cette photo a pu être prise dans deux périodes : la première entre mi-juillet 1915 et début 1916. Il faudrait cependant que Rivera et Picasso se soient réconciliés, ce qui n’est pas impossible. Rivera ne pouvait qu’être flatté que Picasso lui emprunte une idée, si tel fut le cas. John Richardson ira jusqu’à dire que c’est la seule idée originale que Rivera a apporté au cubisme ![4] Et Picasso n’avait pas beaucoup à craindre de ce concurrent, quand même très suiveur, qui arrivait dans le cubisme alors lui-même s’en éloignait. À preuve les dessins « ingresques » que fera Rivera à partir de 1917, quand Picasso a fait son premier - le portrait de Max Jacob - en janvier 1915, que Rivera a sans doute vu.
Angelina Beloff donne naissance à son fils Dieguito le 4 août 1916. Sur la photo, elle ne donne pas du tout l’impression d’être enceinte. Ce qui limite la prise de vue au tout début 1916, jusque vers le mois de février. La seconde période va septembre 1916 au 20 février 1917. Angelina a donc accouché le 4 août. Elle s’occupe sans nul doute de son nouveau-né, dans des conditions difficiles à cause de la guerre, de l’hiver, du manque de charbon pour chauffer l’appartement. Ce sont sans doute les raisons du décès de l’enfant un an plus tard, le 28 octobre 1917. Cette période ne semble donc pas propice à cette photo.
[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_Zinoview consultée le 29/4/2020
[2] https://prozhito.org/notes?date=%221915-01-01%22&diaries=%5B1227%5D consulté le 29/4/2020
[3] Voir fiche Wikipédia citée plus haut ou le texte publié à l’occasion d’une exposition sur son activité et ses dessins de guerre en décembre 2017 https://www.centenaire.org/fr/espace-scientifique/arts/la-grande-guerre-dalexandre-zinoview-lartiste-russe-qui-fut-aussi-espion consulté le 29/4/2020
[4] John Richardson, A Life of Picasso - Volume II : 1907-1917, Londres, Janathan Cape, 1996 p.412 : “Rivera guarded this formula jealously : it was virtually his only contribution to cubism”