Jusqu'au 14 juillet, la ville de Schwäbisch Gmünd en Allemagne présente l'exposition «Bonjour Picasso», un choix de sept oeuvres exprimant la joie de vivre trouvée par le maître à Antibes.
En août 1946, Pablo Picasso réside, avec sa jeune compagne Françoise Gilot, chez l'imprimeur Louis Fort sur le port de Golfe-Juan. A ce moment-là, Dor de la Souchère avait en pension chez lui, à Cannes, le sculpteur et photographe Michel Sima, qu'il avait recueilli à son retour de trois années de déportation à Auschwitz. Apprenant la présence de Picasso à Golfe-Juan, Sima propose à Dor de la Souchère de négocier auprès du grand artiste un don au musée d'Antibes. Une entrevue fut donc arrangée sur la plage, qui n'aboutit pas à un don, l'artiste éludant le sujet. "La conversation dévia sur la peinture, comme il était naturel, et Picasso me fit part d'une déception qui est celle de tout peintre: "J'ai toujours souhaité qu'on me donne de grandes surfaces à décorer et jamais l'Etat ne m'en a donné". Ce que l'Etat lui refusait, une petite ville de province allait enfin le lui offrir, par l'intermédiaire de cet homme à l'esprit si vif et au coeur si sensible aux artistes, qui saisit alors au bond cette chance unique de faire rentrer au château de la Belle au bois dormant le peintre de la modernité.
Picasso avait exprimé un besoin d'espace: "Je l'ai installé, raconte Dor de la Souchère à Georges Salles, dans la grande salle du second étage (celle-là même où avait eu lieu la première exposition du nouveau musée en 1928. J'ai fait disposer tout ce dont il pouvait avoir besoin: chevalets, tables, matelas pour se reposer, couleurs, pinceaux. J'ai donné ordre à Sima de s'attacher à lui, de le servir et de lui fournir tout ce dont il pouvait avoir besoin dans son travail. J'ai donné à Picasso la clef de la salle, il l'a attachée par une ficelle à sa ceinture [...]. Il venait chaque jour environ au début de l'après-midi et peignait souvent jusque fort tard dans la soirée à la lumière de deux énormes projecteurs (qui avaient été loués au studio de la Victorine, à Nice, et qui permirent à Sima de réaliser ses clichés photographiques très contrastés. Il a composé, avec les objets les plus hétéroclites pris dans les salles ou la réserve du musée, un rassemblement dont le désordre lui plaisait et l'a souvent inspiré [...]. Il est entré au musée le 17 septembre (date par ailleurs de la facture émise par la Société cannoise de matériaux pour l'achat de "six plaques Eternit" (fibrociment) de 250 x 120 cm. Il en est parti le 10 novembre pour retourner à Paris, chassé par l'inconfort à l'approche des mauvais jours, peut-être avait-il terminé son aventure. Il est venu me voir la veille de son départ au soir. Nous avons parlé longuement. Il m'a donné la liste des oeuvres qu'il laissait "en dépôt" au musée: ce sont toutes des plaques de bois de contreplaqué ou de fibro de grande taille ou de moyenne, dont une toile. Il a emporté quantité de dessins, d'esquisses, de gouaches avec quelques toiles de petit format qui forment la partie peut-être la plus intéressante de sa production antiboise. Il a précisé la manière dont il souhaitait qu'elles fussent encadrées, dans une cornière de fer noir [...]."
La collection du musée compte donc 23 peintures (Ripolin, fusain, graphite sur fibrociment, bois ou toile réutilisée) que Picasso n'emporta pas avec lui à Paris. Outre ces peintures, il laissa aussi dans son atelier du château 44 dessins.
Picasso revint régulièrement à Antibes, au château dès l'année suivante pour peindre "Ulysse et les sirènes". En 1948, il y dépose 77 céramiques réalisées à l'atelier Madoura de Vallauris". Le 13 septembre 1949, c'est l'ensemble du premier étage qui lui est offert. C'est cette muséographie qui perdurera pendant un demi-siècle. Entretemps, par délibération du conseil municipal en date du 27 décembre 1966, la ville d'Antibes décidait de rebaptiser le château Grimaldi en musée Picasso, premier musée consacré à l'artiste. Dor de la Souchère avait rêvé de lui proposer un atelier "dans une permanence intermittente", Antibes lui offrait son musée.
Pêcheur attablé, 1946