Level est encore présent dans les affaires délicates au lendemain de la guerre lorsque Picasso se bat avec son marchand Kahnweiler pour récupérer ses œuvres. En août 1914 le contenu de la galerie de Kahnweiler est en effet saisi par l’état français comme bien allemand et fait l’objet d’un séquestre de guerre. Picasso accuse alors son ancien marchand de lui devoir la somme de 20 000 francs pour les dernières œuvres confiées à la galerie qui n’avaient pas encore été réglées par le galeriste. Alors que les artistes soutiennent Kahnweiler et tentent de s’opposer au séquestre, Picasso, lui, tiendra une position ambiguë, souhaitant avant tout récupérer les œuvres confisquées. Level va alors intervenir à plusieurs reprises pour dissiper le malentendu et essayer d’agir sur le séquestre. Ainsi dans des lettres de janvier, février et novembre 1915, il relate les visites faites aux différentes administrations pour rencontrer le séquestre, Me Nicolle, et faire l’apologie de l’art moderne. Le 4 novembre, il écrit : « J’ai été au domicile particulier du séquestre. Me Nicolle n’y est jamais ou n’y reçoit pas. On m’a envoyé à l’Administration de l’Enregistrement, rue de la Banque. Il n’y passe qu’irrégulièrement, effectuant des contrôles en dehors. J’ai laissé ma carte avec demande de rendez-vous. Point de réponse. Mais, ce matin, devant l’enregistrement, rue de la Banque, je suis monté pour risquer par hasard de le rencontrer. Il n’y était pas. Mais j’ai causé avec un de ses collègues, et, de fil en aiguille, j’ai été amené à faire une conférence sur le cubisme et sur l’art en général. Pas moins. Il va du coup, aller voir votre exposition et je peux compter sur lui pour m’obtenir un rendez-vous avec l’insaisissable Me Nico[l]le. Et nous voici un ami dans l’Administration ! »[i]. Parallèlement il présente Picasso à Me Danet, avocat qui essayera d’éclaircir cette situation, demandant un inventaire du stock de la galerie de Kahnweiler ainsi qu’un récapitulatif des sommes dues au marchand par ses anciens clients. Toutes ces démarches resteront vaines et les œuvres seront, finalement, dispersées dans quatre ventes aux enchères entre 1921 et 1923. Level aura tout fait pour défendre Picasso.
L’entraide sera réciproque. En 1922 André Level, juste retiré de ses affaires, ouvre la galerie Percier à l’angle de l’avenue du même nom et de la rue La Boëtie, en partenariat avec André Lefèvre, financier proche des milieux bancaires, grand collectionneur et Alfred Richet, secrétaire d’une société d’importation de charbon. La galerie se rapproche de l’esprit de La Peau de l’Ours. A but non lucratif, elle souhaite avant tout promouvoir les jeunes artistes. Pour l’ouverture de sa galerie, Picasso lui cède des œuvres, puis en il illustre le frontispice de la biographie que lui consacre Level, la troisième sur Picasso, après celle de Maurice Raynal en 1921 et celle de Waldemar Georges en 1924. Il réalise alors une lithographie originale, un visage anonyme qui n’est autre que le portrait de sa compagne Marie-Thérèse. Cette liaison étant alors tenue secrète, ce portrait intime est la première représentation publique de la jeune femme. André Level occupe une place tout à fait particulière dans la vie de Picasso. Bien plus qu’un simple collectionneur, il devient un ami discret et précieux pour l’artiste. Si le nom de Level est connu aujourd’hui comme fondateur de La Peau de l’Ours, il continue à défendre l’art moderne mais aussi l’art africain bien au delà de la fin de la célèbre association. Entre 1900 et 1927 il rassemble une collection personnelle d’œuvres de jeunes peintres parmi lesquelles des Picasso dont nous allons maintenant tenter d’en dessiner le contenu.
[i] Lettre d’André Level à Pablo Picasso, 4 novembre 1919, Archives Picasso, musée Picasso, Paris.