La vente du 3 mars 1927 comprend en effet huit dessins et une huile de Picasso, parmi lesquels le nº58 Le Repas de 1903 (fig.19) ou encore le nº60 Le Pauvre de 1904 (fig.20) qui seront tous deux reproduits dans la biographie de Picasso comme appartenant à la collection de Raoul Pellequer, neveu de Level et frère de Max en 1928. Nous pouvons également signaler les dessins nº62 Le compotier de poires, (fig.10) vu précédemment, et le nº63 Tête de femme. Le témoignage de Level nous indique qu’il achète ces deux œuvres au début de l’année 1915 avant le départ du marchand Léonce Rosenberg pour le front : « Avec moins de moyens que lui [L. Rosenberg], puisque c’est pour ma collection personnelle, j’achète à Picasso non pas des peintures, mais un grand dessin – compotier de fruit – à l’encre de Chine et une aquarelle du début de l’époque nègre, une tête de femme mélancolique, ou s’ajoute une émouvante expression à des recherches de lignes et de plans toutes nouvelles »[i]. Si l’encre de Chine reste introuvable[ii], l’aquarelle, elle, correspond au nº137 du catalogue raisonné de Pierre Daix[iii], Tête de femme, début 1908 (fig. 21 ) injustement confondu par ce dernier avec le nº138. S’ajoute à l’ensemble, La Repasseuse, pastel illustré dans le catalogue de vente, réalisé en 1904 (fig. 22) et qui a ensuite fait partie de la prestigieuse collection de Walter P. Chrysler Jr de New York. Aux cotés de ces œuvres, trois dessins – non illustrés et non datés – restent non identifiés : Le Couple I et II et le dessin à la plume Mère et enfant, respectivement nº56, 57 et 61 de la vente.
D’autres œuvres peuvent encore être reconnues l’année suivante dans la publication de la biographie de Picasso par André Level. Les illustrations mentionnent quatre œuvres appartenant encore à sa collection en 1928 : l’étude Page d’Album, dessins à la plume de 1905 ; Couple, encre de Chine de 1924 ; Tête de femme, pastel de la série de portraits d’Olga réalisés à Fontainebleau durant l’été 1921 ou encore le petit dessin à la plume Etude pour les Saltimbanques de 1905 ( fig. 23) avec la dédicace : « A mon ami André Level, Souvenir de mon grand tableau de 1905 ». Cette œuvre a appartenu à André Level puis à ses héritiers avant de réapparaître en vente publique chez Sotheby’s le 3 juin 2010 à Paris. L’Etat français a préempté le dessin pour intégrer les collections du musée Picasso de Paris, tout comme l’aquarelle Femme nue couchée (fig. 24) de 1906. Cette petite peinture, mentionnée comme « localisation inconnue » dans le catalogue raisonné Daix, n’avait jamais été exposée et est probablement restée dans la famille Level pendant près d’un siècle. Cette dernière vente aux enchères a mis en lumière des œuvres inédites qui avaient été données par l’artiste lui-même à André Level et que celui-ci a conservées jusqu’à sa mort. Au lendemain de la vente de 1927, Level expliquait qu’il lui restait « un fond inaliénable d’une jeunesse qui n’était pas destinée à passer : une douzaine d’œuvres de Picasso, dons du plus généreux des amis »[iv], parmi lesquelles le probable portrait ingresque du collectionneur en 1918.
L’amitié entre les deux hommes se poursuivra bien après 1928, comme preuves, les dédicaces de Picasso, retrouvées grâce à la vente de Sotheby’s, sur les œuvres destinées à son ami Level jusqu’en 1942[v]. Achats ou dons, la collection Level avait continué à s’enrichir après 1927. Lors de sa récente dispersion, elle comprenait le remarquable lavis lié aux gravures de la Suite Vollard Le Repos du sculpteur de 1933 ( fig. 25) [vi] qui s’est envolé pour plus de 3 700 000 euros. Le livre Souvenirs d’un collectionneur d’André Level sera publié à titre posthume en 1959 à l’instigation de Picasso et aux bons soins de Max Pellequer. L’artiste réalisa alors une lithographie originale le 5 mars 1958 ( Fig.2 ) représentant un vieux joueur d’orgue de barbarie avec un singe devant un jeune Pierrot, en hommage à la grande composition des Bateleurs, conservée aujourd’hui à la National Gallery of Art de Washington, qu’André Level avait acquise un demi-siècle auparavant.
[i] Level, Souvenirs, p. 40.
[ii] Le Compotier de poires, nº62 de la vente de la collection Level en 1927 n’a pas été retrouvé dans les catalogues raisonnés Zervos ou Daix-Rosselet.
[iii] Pierre Daix et Joan Rosselet, Le Cubisme de Picasso, Ides et Calendes, Neuchâtel, 1979.
[iv] Level, Souvenirs, p.76.
[v] Liste complète des œuvres dans le catalogue de vente Les Picasso d’André Level, Sotheby’s Paris, 3 juin 2010.
[vi] lot.4 vente Sotheby’s ( 3 juin 2010 Paris) , pas dans Zervos