" Non, la peinture n'est pas faite pour décorer les appartements. C'est un instrument de guerre offensive et défensive contre l'ennemi."

Sotheby's Paris a présenté le  6 juin dernier à la vente deux œuvres de Picasso de la collection de Marina Picasso, petite-fille du peintre. Ces deux tableaux  provenaient de la succession de Pablo Picasso et n’avaient pas quitté l’atelier du peintre jusqu’à son décès en 1973. Les deux toiles Palette et tête de Taureau, 10 décembre 1938 et Femme assise en robe grise, 31 août 1943  dont les estimations étaient  comprises respectivement entre 1 et 1,5 million d'euros pour l’une  et entre 2,5 et 3,5 millions d'euros pour l’autre ont trouvé preneurs à  1 395 500 €  et  3 793 500 € (prix total avec les frais) .

Marina Picasso, fille de Paul, a décidé de se séparer de ces deux œuvres provenant de son fonds personnel dans le but de financer des organismes d'aide aux enfants seuls et aux adolescents en souffrance.

Nous avons choisi de rassembler  dans un même article l’histoire de ces œuvres qui témoignent, toutes deux, des préoccupations politiques et humanistes de Picasso pendant l’immédiat avant-guerre et la période de l’Occupation.

 «  Non, la peinture n’est pas faite pour décorer les appartements .C’est un instrument de guerre offensive et défensive contre l’ennemi » ( Simone Terry » interview de Picasso sous le titre «  Picasso n’est pas officier de l’armée française in « Lettres françaises, Paris 24 mars 1945 p.5)

« Le taureau ne représente pas le fascisme mais la brutalité et les ténèbres » déclarait Picasso lors d’un entretien avec un jeune peintre amateur Jerome Seckler à l’automne 1944 pour la revue américaine marxiste New Masses, ce dernier voulant lui faire dire que la série de natures mortes à la tête de taureau réalisée fin 1938 constituait une œuvre politique dans la lignée de Guernica. Si l’artiste espagnol affirme qu’hormis Guernica ses peintures ne sont jamais symboliques, il admet finalement le point de vue de son interlocuteur : « les êtres humains pensent politiquement qu’ils le veulent ou non ». Picasso reconnaît en effet que les œuvres réalisées pendant les années trente et quarante ont inconsciemment une résonance politique et que le fascisme est lié de manière intrinsèque à la mort et la destruction. Cette interview qui semble avoir été publiée sans modification, nous livre un témoignage crucial pour comprendre l’œuvre des années de guerre, Picasso ne s’exprimant pour ainsi dire jamais sur la signification de son art.

 

 

 

Pablo Picasso, 10.12.1938, Paris ou Tremblay-sur-Mauldre, Huile et essence sur toile, 72,5 x 92 cm