" Étions-nous, peintre et écrivain, subjugués par Picasso ? Oui et non. Nous ressentions la puissance de son personnage. Nous connaissions la valeur des chemins de la liberté sur lesquels nous errions en sa compagnie. Nous l'aimions comme personne. Nous partions chez lui comme il partait à la corrida : à la fiesta. Nous allions à Picasso comme il allait aux taureaux. La foule, la musique, le spectacle et le grand jeu de vie et de mort de la peinture et du monde."
Hélène Parmelin, prologue de Voyage en Picasso, 1980, éditions Robert Laffont ; éditions Bourgois, 1994.
Romancière, critique d'art, Hélène Parmelin (1915-1998) fut une femme engagée. Ses parents, juifs russes, après avoir fui la Russie tsariste en 1905, s'installèrent d'abord en Suisse auprès de Lénine, puis en France, où Hélène Parmelin (Jungelson de son vrai nom) fit ses études.
Militante du Parti communiste français, elle appliquait dans sa vie et dans ses écrits les idées qu'elle défendait. On disait d'ailleurs de son roman Léonard dans l'autre monde, paru en 1957 (éditions Julliard), qu'il était l'un des rares à mettre en scène la "classe ouvrière, dans un monde de dérisions mêlées aux drames de la vie ". Ses livres étaient clairement politiques, évoquant les courants de pensées avec leurs contradictions, leurs enthousiasmes et leurs incertitudes, car là où se pose la question du pouvoir d'état se constituent des avant-gardes révolutionnaires. Hélène Parmelin décrit ce qu'elle observe avec une acuité très personnelle, voulant concilier idéaux, morale et politique. Le couple qu'elle formait avec Édouard Pignon avait de toute évidence des préoccupations qui ne laissaient pas Picasso indifférent et qui les ont certainement rapprochés.
Essayiste et pamphlétaire dans le domaine de la politique, du théâtre et de l'art, elle fut aussi un témoin privilégié des habitudes de travail et du quotidien de Picasso. Elle fit sa rencontre alors qu'elle tenait la rubrique de critique d'art du journal L'Humanité. Hélène Parmelin défend alors la peinture moderne, s'opposant volontiers aux tendances conservatrices du moment, alors que son mari peint "en résistance" durant cette époque troublée d'une France occupée. Pignon saura garder sa liberté de ton, même vis-à-vis du parti communiste. Lui comme sa femme s'en éloigneront lorsque leurs convictions deviendront incompatibles avec la ligne du Parti.
Le couple devint très vite ami avec Picasso et le demeura jusqu'à sa mort. Hélène Parmelin fut l'une des rares personnes devant qui Picasso parlait de façon intime et sincère de sa vie privée, de son engagement politique ou de son art, lui qui souhaitait vivre avec Édouard Pignon " une vie de peintre ". Auteure de nombreux livres sur Picasso, ses écrits sont désormais des sources précieuses d'information sur la vie de l'artiste, son travail et son état d'esprit au tournant des années 1950. Ils donnent aussi des indications sur la vie de Picasso et de Jacqueline, et sur la " dernière période ".
Elle évoque l'énergie permanente de Picasso, qui lui expliquait : " Dès que tu t'arrêtes, c'est que tu recommences. Tu peux laisser une toile de côté en disant que tu n'y touches plus. Mais tu ne peux jamais mettre le mot fin." Dans Picasso dit, paru en 1966 (éditions Gonthier), Hélène Parmelin cite abondamment l'artiste. Cela permet au lecteur de l'imaginer travaillant, réfléchissant, dialoguant avec son entourage. " Et à la fin, quand l'oeuvre est là, le peintre en est déjà sorti." Autant dire que l'artiste est déjà dans la gestation de quelque chose d'autre. " S'il y avait une seule vérité, on ne pourrait faire cent toiles sur le même thème. "
Picasso n'est jamais certain d'avoir tout essayé. Rien au fond, n'est jamais terminé.